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Divorce contentieux : bien distinguer les fondements de la demande indemnitaire

Civil - Bien et patrimoine, Personnes et familles
25/11/2025

Lors d’une procédure de divorce, la question financière ne se limite pas toujours à la prestation compensatoire ou à la liquidation du régime matrimonial. Lorsqu’un époux estime avoir subi un préjudice moral ou matériel du fait de son conjoint ou de la rupture, il peut solliciter des dommages et intérêts.

Cependant, obtenir cette réparation demande une rigueur juridique absolue. En effet, le Code civil offre deux voies distinctes pour formuler cette demande : l’article 266 et l’article 1240. La frontière entre ces deux textes est parfois ténue, mais la confusion entre les deux peut s'avérer fatale pour l'issue du dossier.

La réparation des conséquences du divorce lui-même (Article 266)

La première option repose sur l’article 266 du Code civil. Ce texte est très spécifique. Il ne vise pas à réparer n'importe quelle faute commise durant le mariage, mais uniquement les conséquences d'une particulière gravité subies du fait de la dissolution du mariage.

Pour invoquer cet article, deux conditions préalables sont généralement requises : le divorce doit être prononcé aux torts exclusifs du conjoint, ou pour altération définitive du lien conjugal (si le demandeur n'a pas initié le divorce).

La jurisprudence se montre stricte sur la notion de "particulière gravité". Il ne suffit pas d'être triste ou déçu par la rupture. Il faut démontrer un préjudice qui excède les conséquences habituelles d'un divorce.

À titre d'exemple, la Cour d’Appel de Paris a retenu, dans un arrêt du 9 septembre 2012, la demande d'une épouse âgée de 66 ans et gravement malade. Le divorce entraînait pour elle la perte nécessaire de l'assistance de son conjoint, caractérisant ainsi une gravité exceptionnelle.

A contrario, toutes les fautes ne justifient pas ce fondement. La Cour de cassation, dans un arrêt du 28 septembre 2000, a estimé que la naissance d’un enfant adultérin, bien que douloureuse, ne donnait pas droit à indemnisation sur le fondement de l'article 266. Ici, le préjudice ne découlait pas de la dissolution du mariage en soi, mais des circonstances de la vie conjugale.

La réparation des fautes détachables du divorce (Article 1240)

La seconde option est le recours au droit commun de la responsabilité civile, via l’article 1240 du Code civil. Ce texte énonce que tout fait de l'homme causant un dommage à autrui oblige son auteur à le réparer.

Dans le cadre d'un divorce, cet article permet de sanctionner des fautes qui sont indépendantes de la rupture du mariage. Il s'agit ici de réparer un comportement fautif spécifique, qu'il soit moral ou financier.

Les tribunaux accueillent favorablement ces demandes lorsque la faute est prouvée. Par exemple, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a validé l'indemnisation d'une épouse victime de violences physiques conjugales couplées à une liaison adultère du mari.

De même, sur le plan financier, la Cour de cassation a sanctionné, le 13 décembre 2017, un époux qui avait imité la signature de sa femme pour souscrire des crédits à la consommation. L'épouse, poursuivie par les banques, subissait un préjudice direct justifiant une réparation sur le fondement de l'article 1240, car il s'agissait d'une faute distincte de la fin du mariage.

L'impératif du bon choix procédural

La stratégie juridique est ici cruciale. Il est impératif de ne pas se tromper de fondement lors de la rédaction des conclusions. La jurisprudence est claire : il n'y a pas de seconde chance.

Si la demande est fondée sur l'article 266 alors que les faits relèvent de l'article 1240 (ou inversement), le juge rejettera la demande sans la requalifier. La Cour de cassation l'a rappelé fermement dans un arrêt de 2008 (n°08-16.916).

L’analyse précise des faits, de la nature du préjudice et de son lien avec la rupture ou la vie commune est donc indispensable avant d’engager toute action indemnitaire.

En conclusion, la demande de dommages et intérêts dans un divorce est un mécanisme puissant mais technique. L'évaluation du dossier doit permettre de cibler le bon article du Code civil pour garantir l'indemnisation des préjudices. Une confusion entre les conséquences de la rupture (art. 266) et les fautes délictuelles de droit commun (art. 1240) conduira inévitablement au rejet des prétentions.